C’est en lisant un article il y a trois mois environ sur les croisières en Antarctique et les promotions de dernières minutes que l’envie nous est venue et nous est un peu restée en tête à tous les deux. Nous avons alors décidé d’arriver à Ushuaia fin janvier, pour se laisser la place si une opportunité se présentait. Par période, on avait du mal à se concentrer sur le reste tant cette idée tournait à l’obsession.

Personnellement, je m’étais déjà renseigné sur les voyages en Antarctique il y a des années, mais le prix (de la croisière plus du billet d’avion pour Ushuaia) m’avait fait instantanément oublier l’idée. Là, le fait qu’Ushuaia soit déjà sur notre route allégeait la note et ces hypothétiques promotions pourraient nous permettre, en explosant quand même le budget, de réaliser ce rêve. On attendait alors fébrilement notre arrivée dans la ville du bout du monde.

Une nuit, Élodie rêve de l’Antarctique et commence à se renseigner dès le réveil. Le stress débute quand elle voit des témoignages dire que les prix ont augmenté, même en dernière minute et qu’il n’y avait pas de départ tous les jours. On commence à se dire que ça ne se fera finalement pas. Elle trouve quand même quelques contacts pour entamer les négociations à distance, par mail ou WhatsApp.

Après des dizaines de messages échangés avec plusieurs agences, beaucoup d’interrogations, encore plus d’ascenseurs émotionnels et des retournements de situation dignes d’une série Netflix, nous validons une cabine pour 2 personnes à bord de L’Hebridean Sky de la compagnie Polar Latitudes. A ce moment-là, seul un problème lors du paiement pouvait nous faire redescendre sur Terre. L’attente du mail de confirmation de Tim, notre contact de l’agence fut assez stressante. Honnêtement je ne suis pas sûr de réaliser encore.

Jour 0 : Petit déjeuner gargantuesque et prise de température

Nous sommes la veille du départ et actuellement dans notre chambre du luxueux hôtel Arakur, dont deux nuits sont incluses dans notre croisière. Par l’immense fenêtre de notre chambre nous observons Ushuaia et le canal Beagle. On n’a toujours pas bien compris quel bouton allumait quelle lumière, mais on s’en sort tant bien que mal. Nous avons pris quartier dans cet hôtel hier après-midi et nous en profitons pour bien se ressourcer avant de partir.

Le petit-déjeuner est sous forme de buffet. Qui n’a évidemment rien à voir avec les buffets que nous avons déjà eu l’occasion de tester. Ici, il y a de tout et tout est bon. Ce petit-déjeuner s’est finalement transformé en brunch devant l’opulence de nourriture.

Le midi, nous faisons un rapide tour en ville pour des derniers préparatifs avant le départ. On rentre profiter de cette magnifique chambre avant un rapide briefing de fin de journée, animé par l’agence. Actualité oblige, on passe un contrôle de température pour que l’équipage s’assure que personne ne ramène le coronavirus à bord. Sage décision, je n’ai pas envie que cette croisière tourne en scénario de film d’horreur. Ces formalités passées, nous partons arroser notre dernière nuit sur terre en ville autour d’une bière et un burger dans le Dublin bar, typiquement argentin.

Jour 1 : Chocolat chaud, embarquement et Tesla

C’est le jour J ! Nos sacs vont avoir la chance de découvrir le bateau avant nous. Ils sont récupérés le matin et directement emmenés dans notre cabine. Nous retrouvons avec plaisir le fabuleux petit déjeuner de l’hôtel, avant d’en découvrir les piscines, dont une extérieure à débordement, avec vue sur le canal de Beagle. C’est indécent tant de luxe. Indécent, mais plaisant. Les quelques heures à tuer avant l’embarquement prévu à 16h seront passées dans un café, à renverser mon chocolat chaud sur le clavier de mon PC.

Puis vient le moment tant attendu. L’arrivée à bord est surréaliste, nous croisons plus de membres de l’équipage que je ne peux en compter et tous nous saluent et nous souhaitent la bienvenue. Nous laissons nos passeports à l’accueil du navire et on nous conduit jusqu’à notre cabine, qui doit faire la taille de mon premier appartement. Cette fin d’après-midi sera placée sous le signe de la découverte. Entre les briefings, les répétitions de procédures de sécurité, la présentation des membres de l’équipage, nous profitons des courts moments libres pour partir explorer le bateau. Nous faisons la connaissance de quelques uns de nos compagnons de navigation, à l’occasion de ces rassemblements ou du dîner, digne d’un restaurant de luxe. Nous nous sommes retrouvés à table au milieu d’une sympathique discussion automobile opposant deux couples d’américains, les pickups du Texas contre les Teslas du New Jersey. Au milieu du débat, le bateau se met à vrombir, puis à bouger. Le voyage commence.

J’étrenne la parka offerte par la compagnie pour profiter du coucher de soleil sur le pont du bateau. Nous sommes encore dans le canal de Beagle et nous allons atteindre les portes du passage de Drake peu après minuit. Les prévisions météo sont plutôt rassurantes et sa traversée, qui prendra deux jours, devrait se dérouler sans encombre.

Jour 2 : Drake Lake, conférences et cookies

Les premières vraies secousses se font ressentir dans la nuit. Le passage de Drake a une mauvaise réputation, car très facilement sujets à de vents violents. Nous allons avoir la chance d’expérimenter ce que les membres de l’équipage appelle le « Drake lake ». La météo clémente que nous avons rend la mer très calme et, en comparaison de son état habituel, le passage de Drake est aussi plat qu’un lac. La nuit sera assez tranquille pour ma part, un peu moins pour Elodie qui se fait réveillée plusieurs fois par les mouvements du bateau. Je ne suis malgré tout pas en grande forme le matin.

On sent quand même relativement bien le tangage et le roulis durant la journée et notre démarche s’apparente à celle que nous pourrions avoir entre un bar et le dernier métro après une soirée particulièrement arrosée. La salle de restaurant et les différentes conférences de la journée ne font pas le plein, signe que cette traversée ne se passe pas aussi bien pour tout le monde. Nous participons à une présentation sur la faune antarctique, les oiseaux et les baleines, que nous pourrons peut-être croiser durant cette prochaine semaine. Le médicament anti mal de mer fait effet. On n’est pas malade, mais on est très fatigué. Résultat : je rate la présentation de photographie prévue à 16h car je suis tombé de sommeil dans notre cabine. J’espère qu’il y en aura d’autres. Nous prenons également nos quartiers dans le salon de thé du bateau, où nous allons pouvoir profiter de thé, café, chocolat et cookies à volonté.

Chaque soir, nous assisterons à une réunion « Recap & Briefing », pour résumer ce qu’il s’est passé et présenter ce qu’il se passera. Durant celle du jour, un jeu est mis en place par l’équipage. Il s’agit de deviner l’heure à laquelle le premier iceberg va être aperçu. Elodie mise sur 13h, moi sur 20h15. On apprend également que nous devrions atteindre les îles Shetland du Sud en fin d’après-midi.

Verdict demain.

Jour 3 : Premier glacier, première baleine… et première sortie !

Nous continuons notre route sur le passage de Drake avec quelques conférences pour en apprendre un peu plus sur ce continent. La géologue suédoise Nilla nous parle des glaciers, tandis que Katie nous présente la découverte de l’Antarctique avec son magnifique accent écossais. Je participe à un relevé d’océanologie, pour mesurer la température, la salinité et la conductivité de l’eau. Ce relevé montre officiellement que nous avons passé la convergence antarctique, l’eau est mesurée à 3,7°C. Le relevé d’hier après-midi indiquait une température de plus de 7°C. Ces informations seront envoyées à des organisations scientifiques, afin de leur permettre d’avoir suffisamment de données à étudier sans pour autant devoir affréter de coûteuses expéditions.

Les repas sont un bon endroit pour rencontrer nos camarades de voyage et nous commençons à nous intégrer au groupe de jeunes. Nous faisons la connaissance de Natalie et Yoann, un couple américano-breton, Shaked et Ido deux israéliens, Una l’irlandaise et Eric qui vient de Chicago. Tous sont des voyageurs au long court qui ont profité des promos de dernières minutes comme nous. Un message à travers les haut-parleurs du bateau nous invite à nous rendre sur le pont pour admirer notre premier iceberg aux alentours de… 13h15. Il va falloir que je revois mon côté vieux loup de mer moi. Un autre message, peu de temps après, nous avertit du passage de baleines. Rien de spectaculaire pour l’instant, seul un petit aileron se laissera apercevoir au milieu des vagues.

En début d’après-midi on aperçoit les premières terres ! On jette l’ancre à 16h30 à Fort Point, mais après une inspection des membres de l’équipage, nous n’allons pas mettre pied à terre ici. Nous embarquons néanmoins à bord des zodiacs pour aller faire un petit tour au plus près. La balade a duré environ 1 heure et nous avons vu plus de manchots que nous ne pouvons en compter. Le banc de terre était littéralement couvert de manchots (papou et à jugulaire) et de quelques otaries à fourrure ou des éléphants de mer. Le manchot est potentiellement la créature la plus mignonne (après les chats bien sûr) que j’ai pu voir. Leur façon de se déplacer, en marchant ou en sautant est tellement amusante. Mais rien ne vaut mieux qu’une petite vidéo (de manchots Adélie) pour se faire votre propre idée. Nous avons également vu pas mal de manchots nager et sauter hors de l’eau pour reprendre de l’air. Les phoques ressemblent à de gigantesques limaces échouées sur un rocher. Nous expérimentons également l’odeur du guano. Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, il s’agit d’excrément d’oiseau marin. Plus communément appelé du caca. Ce n’est pas très agréable.

Jour 4 : Pied à terre, baleine sauteuse et pingouin USB

Le réveil est plus matinal aujourd’hui et nous prenons le petit déjeuner à 7h pour pouvoir faire une sortie à terre ce matin. Le zodiac nous dépose sur Hydrurga Rocks, une île proche de la péninsule antarctique. Nous crapahutons pendant plus de 2 heures au milieu des manchots à jugulaire (que j’appelle les manchots Robert Hue, avec leur collier de barbe), des otaries à fourure, des redoutables leopards de mer ou encore des imposants éléphants de mer. Les manchots ne sont pas vraiment effrayés par notre présence, à partir du moment où nous restons calmes et lents. Lorsqu’ils veulent passer dans notre direction, nous nous arrêtons et ils peuvent s’approcher à moins de 2 mètres de nous pour continuer leur route tranquillement. Je croise Phil, le photographe de l’équipage, et j’en profite pour lui demander quelques conseils pour gérer la lumière particulière du coin. Nous avons un temps incroyablement magnifique, alors le paysage est très lumineux. Le soleil se reflète sur l’eau et sur la neige ou la glace. Tout est très très blanc. En fin d’excursion, il fait d’ailleurs tellement bon que j’aurais pu terminer en t-shirt si j’avais de quoi poser toutes mes affaires. Au soleil et sans vent, c’est vraiment agréable.

Une fois rentrés, à peine le temps de nous changer que c’est déjà l’heure du déjeuner. Je découvre un stand de pâtes, cuites à la demande en choisissant ses ingrédients. C’est magnifique. Je prends des champignons, des lardons, des câpres, de la sauce blanche avec un peu de fromage et de piment. Ca va nous faire tout drôle de retourner aux sandwichs de houmous dans une semaine. Un peu de temps libre en début d’après-midi, ça change ! Pas de conférence, pas de réunion d’information, nous naviguons simplement vers notre prochaine destination, la baie de Fournier. J’en profite pour me balader sur les différents ponts du bateau et tester les réglages que m’a conseillé Phil. Je passe également pas mal de temps le nez collé à un des hublots de notre chambre, à l’abri du vent.

La balade en zodiac dans la baie de Fournier dure deux heures environ, pendant lesquelles nous allons faire la rencontre avec de nombreuses baleines à bosse. Jusqu’au moment où nous entendons un énorme plouf. Une jeune baleine est d’humeur joueuse et s’amuse à sauter hors de l’eau. Elle le refera deux autres fois pour qu’on puisse avoir le temps d’admirer ce spectacle incroyable. Nous croisons aussi quelques léopards de mer, en train de dorer au soleil sur des icebergs. Ils font partie des prédateurs les plus puissants du continent blanc avec l’orque. Comme ça, on ne dirait pas.

Le soir lors de la réunion de Recap & Briefing, Nilla remet le prix du jeu de l’iceberg et quelqu’un a deviné l’heure exacte. Il s’agit d’Elodie Poisson, qui trace des B bien lisibles et qui gagne un magnifique petit manchot USB !

Jour 5 : Boutique de souvenirs et poste du bout du monde

Le matin marque notre arrivée sur la péninsule. Fini les îles antarctiques, on passe aux choses sérieuses. On met le pied sur le continent, le vrai. Nous accostons à Neko Harbour, découvert par l’explorateur belge Adrien de Gerlache au début du XXe siècle. Une courte grimpette dans la neige nous permet d’accéder à un incroyable point de vue sur la baie Andvord. Nous sommes totalement encerclés par les glaces. La sensation est indescriptible. En redescendant, je m’arrête à mi-chemin pour discuter avec Nilla. Je reste finalement environ une heure avec elle, à parler de l’Antarctique, de l’Islande, du Groenland, de photos… et de la demande en mariage de Yoann à Natalie, qu’on apprend alors qu’on les voit redescendre avec un sourire jusqu’aux oreilles ! De retour sur le bateau, le temps clément nous permet de déjeuner sur le pont arrière. J’ai une pensée pour ma famille et mes amis, dans le froid parisien, alors que nous sommes là, posés en terrasse. En Antarctique.

Tout au long de la journée, le bruit de la demande en mariage de Yoann commence à se répandre. Mais le bouche à oreille n’est pas vraiment efficace. J’ai dû expliqué à plusieurs personnes que non, ce n’est pas moi qui ai fait ma demande, mais le seul autre français de l’expédition. L’après-midi, nous mouillons l’ancre dans l’archipel Palmer et le zodiac nous dépose à Port Lockroy, une ancienne base des forces armées britanniques, puis une ancienne station scientifique. Le complexe a maintenant été reconverti en attraction touristique, avec un petit musée, une boutique de souvenirs et même une poste. Non seulement on peut envoyer des cartes postales depuis l’Antarctique, mais en plus les timbres sont moins chers que dans certains pays d’Amérique du Sud… Après l’envoi de nos cartes, nous remontons dans le zodiac pour l’arrêt suivant : Jougla Point. Cet endroit nous permet de nous balader parmi nos amis les manchots et de croiser des os de baleines ainsi qu’un voilier français, en balade dans le coin. Le temps a jugé que nous avions eu suffisamment de soleil et décide d’écourter notre balade en zodiac au bord de glaciers avec du vent et pas mal de pluie. Pourvu que ça ne dure pas.

Qui dit demande en mariage (acceptée), dit fête ! Nous squattons le bar du bateau toute la soirée en chantant, trinquant, dansant et partageant nos savoirs. Una nous apprend des pas de danse irlandaise, tandis que nous échangeons nos façons de trinquer avec Shaked et Ido.

Jour 6 : Bases scientifiques et rorqual joueur

Malgré le coucher aussi tardif qu’alcoolisé la veille, le réveil ne fut pas si difficile. Nous commençons par une sortie en zodiac à Paradise Bay, où se trouve la base scientifique argentine Almirante Brown. Nous passons ensuite devant une colonie de cormorans antarctiques, aussi appelés les manchots volants. La balade touchait à sa fin lorsqu’une respiration d’animal marin s’est faite entendre extrêmement proche de nous. Deux rorquals sont apparus et nous tournaient autour alors que nous nous sommes arrêtés pour les admirer et ne pas les effrayer. Poussés par leur curiosité, ils sont même passés sous les deux zodiacs chanceux d’avoir été au bon endroit au bon moment. L’eau était tellement transparente et celui qui est passé sous notre embarcation tellement proche de la surface que j’ai pu le voir (et le filmer) parfaitement. C’était je pense un des moments les plus grandioses de ma vie.

Mais je ne suis pas au bout de mes émotions pour la journée. Lorsque je saute dans l’eau, mon corps est saisi instantanément. La sensation est intense, mais pas si désagréable. Je n’ai quand même qu’une idée en tête, remonter le plus vite possible sur le zodiac. Une fois hors de l’eau, je suis accueilli par une grande serviette et un shot qui va me réchauffer instantanément. Dehors il ne fait même plus froid. Environ la moitié des passagers a participé au « Polar Plunge » depuis un zodiac amarré à l’arrière du bateau, tandis que les membres de l’équipe d’expédition s’affairaient à repousser les icebergs dérivant vers nous. Une idée aussi stupide que de plonger dans une eau à 1,1°C m’a tout de suite plu. Je ne pensais vraiment pas sortir mon maillot de bain ici.

Paradise Bay abrite une deuxième base de recherches, le centre chilien González Videla. Les manchots sont tellement nombreux ici qu’il est impossible de respecter la distance de sécurité de cinq mètres. Nous avons même la chance d’en voir un albinos, phénomène extrêmement rare. Dans les airs, des skuas antarctiques tournent autour des manchots pour essayer de ramener un poussin dont ils sont friands. Un barbecue était prévu sur le pont ce soir, mais le climat va nous imposer de le faire au chaud dans la salle de restaurant. Il ne pleut presque pas, mais la température a bien chuté.

Jour 7 : Le gentleman navigateur et le point le plus austral de ma vie

Le réveil à 6h du matin fut assez dur. Mais assister à notre passage dans le chenal Lemaire depuis le pont du dernier étage du bateau en valait la peine. Il s’agit d’un passage long de 11km et large de 800m à son point le plus étroit. Nous sommes maintenant dans la région de Charcot, comme l’appelle Hannah. Les côtes que nous voyons ont toutes été cartographiées au début du XXe siècle par le navigateur français Jean-Baptiste Charcot, surnommé le « gentleman explorateur ».

Nous passons notre matinée sur Petermann Island, avec des petits nouveaux cette fois : les manchots Adélie, plus petits et tout mignons avec leur tête et leur bec tout noir. Leur nom, tout comme la terre Adélie, vient du navigateur français (encore un) Dumont d’Urville, qui a baptisé ses trouvailles du prénom de sa femme.

Nous atteignons ensuite Port Charcot, baptisé par Jean-Baptiste Charcot lui-même. Mais comme donner son propre nom à un lieu porte malheur, il a bien évidemment nommé cet endroit en l’honneur de son père. Après une jolie balade d’une heure en zodiac, parmi les icebergs magnifiques, des dizaines de manchots nageant autour de notre embarcation et quelques phoques crabbiers qui roupillent sur la glace, nous mettons pied à terre à l’endroit où le gentleman explorateur a passé deux hivers durant ses expéditions à bord du « Français », puis du « Pourquoi Pas ? ». Nous avons droit ici à une marche un peu plus longue et plus haute que les autres. Du sommet de ce petit bout d’île, nous avons une vue imprenable sur Port Charcot. Des algues des neiges colorent les lieux en rose ou en vert. Le paysage est fabuleux, on croirait une peinture.

Durant cette journée, nous aurons atteint le point le plus austral de notre périple, situé à 65° 10′ au sud. Pour avoir un point de comparaison, cette latitude dans l’hémisphère nord est située proche de la côte nord de l’Islande. Je suis donc allé plus au sud que je n’ai été au nord. Il s’agira également de notre dernière étape sur la péninsule avant de remonter vers les îles Shetland du Sud.

Jour 8 : dans la bouche d’un volcan

Nous parcourons une belle distance durant la nuit pour retrouver les îles Shetland du Sud par le hublot au petit matin. Deux sorties sont au programme pour ce dernier jour à terre. Notre cheffe d’expédition Hannah fait un point d’honneur à nous faire accoster à Hannah Point, sur l’île Livingston le matin. D’après elle, l’endroit a été nommé en son honneur. Elle connait tellement l’Antarctique et tout ce qu’il s’y passe que je veux bien la croire. Le site est protégé par endroit, donc nous suivons le guide par petits groupes durant une belle marche le long de Walker Bay. Le paysage est constellé de manchots et parsemé de gros tas d’éléphants de mer regroupés pour se tenir chaud durant leur mue.

Après une courte traversée, notre Hebridean Sky navigue à travers les Forges de Neptune, étroit passage qui permet de pénétrer dans le cratère de l’île volcanique Deception Island. Les zodiacs nous emmènent à Whalers Bay avec des débris d’installations humaines et une longue plage de sable noir. Cet endroit a été énormément utilisé comme refuge depuis le début du XIXe siècle. A partir du début du XXe siècle, elle fut utilisé par des entreprises de chasse à la baleine comme base pour les navires dans un premier temps, puis par la construction d’une base sur ses terres ensuite. Des bases scientifiques suivirent jusqu’à ce que deux éruptions en 1967 et 1968 mirent fin à la présence humaine continue. Seules deux bases, une espagnole et une argentine, existent encore aujourd’hui, mais ne fonctionnent qu’en été. Le continent antarctique est tellement rude que le cratère d’un volcan submergé était considéré pendant des décennies comme l’endroit le plus sûr de cette partie du globe.

Notre voyage touche à sa fin, et nous faisons cap vers le passage de Drake. Les membres de l’équipage du navire enchaînent les performances artistiques le soir pour célébrer cette incroyable aventure. L’ambiance est excellente. Je veux rester ici.

Jour 9 : Drake Shake !

La chance de l’aller nous a quitté et après avoir expérimenté le Drake Lake, nous subissons le Drake Shake au retour. Enfin, nous entrapercevons ses possibilités plutôt, car d’après l’équipage, le passage de Drake peut être bien plus violent que celui que nous avons pour rentrer à Ushuaia. Mais il est déjà suffisant pour casser tout le monde, dont moi. Je passe la journée amorphe, à essayer d’aller assister aux conférences pour au final n’en faire qu’une le matin, que j’ai déjà énormément de mal à suivre. J’étais tellement mal à l’aise, qu’au repas du soir, je n’ai pas pris de dessert.

C’était un dessert au chocolat.

J’en cauchemarde encore.

Jour 10 : Champagne et arrivée au port

Les jours se suivent mais ne se ressemblent heureusement pas. Ce matin je vais bien mieux et peux profiter des animations dès le réveil. Mattias présente un résumé des observations scientifiques auxquelles nous avons participé durant l’expédition, avec des données légèrement pessimistes : records de température mesurées hors et dans l’eau et très faible nombre d’oiseaux compte tenu des conditions climatiques. Nous pensions cet environnement si pur à l’abri du changement climatique, mais ces chiffres nous prouvent dramatiquement le contraire.

Les résultats du concours photo tombent l’après-midi et un bon nombre de mes œuvres sont sélectionnées pour la finale, mais sans aller jusqu’à la victoire. L’équipe d’expédition organise ensuite des enchères dont les profits iront aider l’organisation Whale and Dolphin Conservation. Au catalogue, des objets uniques de notre voyage, comme le drapeau Polar Latitudes qui a flotté à la proue du bateau, ou encore une superbe carte de la péninsule antarctique avec le tracé de notre voyage ainsi que des dessins de la faune que nous avons croisé réalisés par Hannah, qui nous montre un nouveau talent. L’annonce du dernier matin avant le débarquement sera même mis aux enchères, donnant le droit à un des passagers de nous réveiller à la place d’Hannah. Tout est évidemment trop cher pour les poches d’un backpacker tel que moi, mais l’ambiance est très amusante. Et surtout il y avait du champagne.

Le capitaine vient également nous dire au revoir, toujours avec du champagne, avec un petit discours nous présentant son équipe. Le soir après le repas, Phil nous présente un diaporama de ses photos que nous allons tous garder en souvenirs sur une clé USB. L’Hebridean Sky est maintenant à quai, dans le port d’Ushuaia.

Jour 11 : Du bateau au bus

Réveil tôt ce matin pour quitter le bateau. Nous quittons le port directement à pieds, accompagnés de Natalie et Yoann, pour rejoindre la gare routière d’Ushuaia. Notre bus direction Punta Arenas pour rejoindre ensuite Santiago du Chili par avion part à 10h et va très rapidement nous ramener à la réalité. Mais avec quelques têtes connues car nous prenons le même bus qu’un couple d’australiens dans leurs belles parkas rouges et nous retrouvons les jeunes fiancés, partis avec le bus de 9h, sur la rive du détroit de Magellan.

Voilà, c’est fini. Et c’était incroyable.